Fangirls, de Hannah Ewens

Fangirls : Scenes From Modern Music Culture (pas traduit en français) est un bijou de non-fiction pop, dans la forme et dans l’âme. Sa jaquette holographique est tout simplement irrésistible, les histoires qu’il contient sont divertissantes, très informatives, racontées avec ironie, perspicacité et sensibilité. L’autrice, Hanna Ewens, anciennement éditrice pour Vice UK, est allée à la rencontre d’une population peu étudiée, celles des fangirls, ces jeunes femmes et adolescentes qui depuis la moitié du siècle dernier se rassemblent autour de leurs idoles, en constituant des communautés autonomes et complexes, chacune avec ses rituels, hiérarchies, repères, rivalités internes, trajectoires individuelles et collectives.

“Depuis les temps de la Beatlemania, jusqu’aux Directioners et au Beyhive de nos jours, les femmes fan de musique hissent leurs idoles jusqu’aux hauteurs vertigineuses d’une célébrité bouleversante, changeant leurs vies à jamais. Mais ces groupes de fans marginalisées ne se voient jamais reconnu le moindre crédit. Souvent ridiculisées, leurs mondes et communautés restent autonomes et sont rarement étudiées par les historiens et chroniqueurs. Alors que sans toutes ces personnes, les disques auraient juste pris la poussière sur les étagères, ou seraient restés invendus, avant d’être oubliés. Aujourd’hui, les places de concert ne se vendraient pas et les revenues du merchandising disparaîtraient, changeant à jamais l’image de la musique telle qu’on la connait.”

traduction libre de la quatrième de couverture

Dans le livre, plusieurs communautés de fans sont représentées et analysées dans un récit qui intègre entretiens, chronique et critique culturelle.
Ewens, ancienne fangirl elle-même (notamment de My Chemical Romance), sait mettre ses touchantes anecdotes personnelles au service de la narration, lui donnant un ton enjoué et authentique sans jamais perdre sa perspicacité et la précision de la démarche journalistique. Ne se limitant pas aux trajectoires individuelles, elle situe précisément l’expérience de la fandom dans les grands questionnements de l’actualité, avec ses débats chauds et faits collectifs (pour le plus grand bonheur des pop nerds comme muah <3). Ses analyses toujours bien construites et sourcées font un tour complet autour d’un objet d’étude complexe, tandis que son empathie et implication personnelle nous emmènent au coeur de ces communautés. La légèreté de son style est appréciable et son contenu est solide sans pédanterie.

Ewens ne fait pas l’éloge inconditionnel de tout ce que les fangirls font et représentent, mais oppose des nombreux arguments aux attaques de la presse et de la société, qui semble s’acharner sur elles depuis leur apparition dans l’écosystème culturel. Entre la chronique et l’analyse, l’autrice se propose d’éclaircir quelques épisodes et résoudre des faux débats stériles, de redistribuer le crédit de manière plus équitable, et d’émettre aussi quelques observations critique. Elle élabore ses réflexions en adoptant différents angles : études sur le genre et du féminisme, histoire des moeurs, de la santé, de la jeunesse, des mouvements sociaux et de la représentation médiatique. On revient sur des moments iconiques, comme le début de la libération de la parole autour de la santé mentale dans la pop au début des années ’00 avec My Chemical Romance, on éclaircit les liens existants entre musique et activisme à travers le cas de la carrière de Beyoncé, on parle privilège de classe et hiérarchie dans les communautés de fans, ainsi que de sexualité, de nostalgie, d’économie du showbusiness e d’impact environnemental des pratiques de la fandom.

Au fil des chapitres, on retrouve des anciennes fans qui regrettent avoir figuré dans des interviews et documentaires de l’époques, d’autres qui sont restées fidèles à leurs idoles, d’autres encore qui sont passées à autre chose tout en assumant pleinement l’importance de cette période de leur vie, d’autres encore qui gèrent des comptes et groupes dédiés sur les réseaux sociaux et grâce auxquels des communautés de milliers de fans peuvent rester informés des actualités. On découvre des agents de sécurité inquiets pour les adolescentes qui passent la nuit campées sur le trottoir, on entend les fans de Lady Gaga expliquer pourquoi Lady Gaga a changé, même sauvé leur vie… On revient aussi sur des épisodes tragiques, notamment l’attentat terroriste au concert d’Ariana Grande à Manchester en 2017, que l’autrice présente dans sa factualité de terrorisme de genre, en critiquant les médias mainstream qui ont refusé de reconnaître cette attaque terroriste comme une expédition punitive ayant par cible les filles et les jeunes femmes, l’écrasante majorité de la fanbase de Grande.

Un livre à haute teneur sentimentale, par une autrice clairvoyante, pour une lecture enrichissante, dans laquelle plein de fans de différentes générations pourront se revoir, se découvrir un peu, et se voir reconnue une place dans l’histoire de la musique enregistrée.

RIOT GRRRLS, de Manon Labry


Riot grrrrls, chronique d’une révolution punk féministe a été publié en 2016 dans l’excellente collection Zones des Éditions La Découverte. Vous le trouvez aussi en entier gratuitement ici et si vous voulez vous plonger dans l’histoire de ce mouvement féministe iconique, je ne peux que vous conseiller de lire cette chronique captivante que nous a offert Manon Labry, docteure en civilisation nord-américaine et spécialiste des relations entre culture dominante et sous-cultures alternatives aux États-Unis. Dans sa thèse, elle s’intéressait au cas de la sous-culture punk féministe et elle également publié Pussy Riot Grrrls, Émeutières, aux Éditions IXE.

Riot Grrrls
Manon Labry
Zones, La Découverte, 2016
Français 🇫🇷
Chronique de mouvement musical

Dans cette chronique, Labry retrace l’histoire du mouvement riot grrrl né au début des années 90 aux États-Unis. On dit que toute cette histoire commence en 1989: après une décennie de politiques conservatrices, des jeunes femmes exaspérées poussent un cri de révolte. Chacun le sien, car elles ne se connaissent pas entre elles : certaines sont à Washington DC, d’autres à Olympia, d’autres encore à Portland…Ce qu’elles ont toutes en commun, ce sont les dix ans de présidence Reagan qu’elle viennent de subir. De manière paradoxale, le fameux conservatisme des années 80, qui essayait de faire reculer la condition féminine à ce qu’elle était avant les conquêtes d’après 68, fournira tous les ingrédients pour provoquer l’explosion de la troisième vague féministe, dont les riot grrrls constituent une icône symptomatique.

D’abord, il y avait des jeunes étudiantes, chacune cultivant une pratique artistique, grâce à laquelle elles exprimaient des frustrations liées à leur propre condition de femme. Ce qu’elles avaient en commun, c’était le sentiment de vivre dans une société qui les condamnait à la mort psychique à travers la propagande de la culture mainstream, truffée d’injonctions oppressantes sur leurs corps et leurs rêves. Pour résister, elles écrivaient des fanzines, organisaient des performances, fréquentaient la scène punk pour suivre les quelques groupes féminins qui y militaient.

C’est justement à un concert que les chemins de trois futures riot grrrls emblématiques ont fini par se croiser : Kathleen Hanna, Tobi Vail et Kathi Wilcox vont former le groupe culte Bikini Kill. En parallèle, d’autres formations féminines et féministes voyaient le jour aux quatre coins des Etats-Unis et de leur rencontre était né un fanzine appelé riot grrrl, première version du véritable futur mouvement.
Dans ce pamphlet auto-édité, les jeunes femmes invoquaient une révolution féministe généralisée sans objectif précis.

En quelques mois, cette impulsion était devenue un mouvement collectif, décentralisé et sans leader, qui se propagea et fonctionna uniquement grâce à la motivation spectaculaire de ses membres, jusqu’à sa dissolution vers 1996 – moment où la scène punk rock était devenue apanage de l’ennemi MTV.

Riot grrrl a été le premier mouvement féministe dans l’histoire des musiques populaires et il reste aujourd’hui unique en son genre. Cet ouvrage, bien qu’il s’adresse à un public initié, peut être apprécié par tout lecteur désireux de découvrir le mouvement. L’intérêt de ce livre réside dans sa double nature : d’une part, il s’agit d’une anthologie exhaustive décrivant précisément la scène musicale et ses actrices ; d’autre part, sa structure de chronique le rend plus agréable à la lecture que le serait une anthologie classique. Le registre informel et le ton enjoué de l’autrice confèrent à l’ouvrage une légèreté rare dans la littérature musicale, sans rien enlever à la qualité du contenu. De nombreuses images provenant d’archives privées ajoutent une dimension très intéressante à cet ouvrage. Une vraie pépite!


C’est pour qui?

Punks, fans de chroniques musicales.
Lecture féministe, jouissive, informelle.
Revolution, girl style, now!