Ă lâoccasion de lâĂ©vĂ©nement âConvergences: Art, FĂ©minismeâ qui a eu lieu le 8 Mars 2020 au FlĂąneur Guesthouse, j’ai posĂ© quelques questions Ă Judith SĂ©vy, qui exposera une sĂ©lection de ses photos.
Salut, Judith. Dis-moi: avant tout, lâart ou le fĂ©minisme?
Alors, je suis venue assez tardivement au fĂ©minisme, seulement vers lâĂąge de 18-19 ans. Par contre, dâaussi loin que je peux me souvenir, jâai toujours eu un appareil photo ou un crayon entre les mainsâŠ
Et tu puises oĂč ton inspiration?
Dans mes souvenirs dâado, Ă chasser les feux follets dans les cimetiĂšres, dans mon quotidien avec mes amis et ma famille, mais aussi dans les contes, les lĂ©gendes et le folklore de toutes les origines.
Tu aimes dessiner, prendre des photosâŠComment tu as choisi tes mĂ©dias et est-ce que tu tâes dĂ©jĂ interrogĂ©e sur tes choix dâun point de vue du genre?
Oui, bien sĂ»r! Mon travail photo est beaucoup plus engagĂ© que mon travail en dessin sur le rapport au fĂ©minin et au masculin, du moins dâune façon beaucoup plus assumĂ©e. Jâaime parler de sensualitĂ© dans mon travail photo, alors quâen dessin, il sâagit plutĂŽt dâun travail dâintrospection.

Ce nâest pas facile dâĂȘtre un artiste. Hier comme aujourdâhui, les artistes font face soit Ă la prĂ©caritĂ© Ă©conomique, soit Ă la frustration de ne pas avoir de temps pour crĂ©er, quand ils occupent un emploi stable.Comment tu fais face Ă ces difficultĂ©s et Ă quoi ressemblent-t-il tes moments difficiles? Quâest-ce qu’il te donne la force de ne pas tâarrĂȘter?
Ah lĂ là ⊠Câest compliquĂ©! Pour avoir de quoi survivre (et en fait surtout, de quoi investir dans mes projets), je suis en 35h dans une Ă©picerie bio. Mais paradoxalement, je nâai jamais Ă©tĂ© aussi crĂ©ative que depuis que je travaille lĂ -bas, pourtant beaucoup! Câest paradoxal car plus je travaille lĂ -bas, et plus mon imagination pour mes autres projets est fertile, mais dĂšs que jâai du temps devant moi pour rĂ©aliser mes projets, tout retombe comme un soufflet⊠Câest dur de prĂ©server la motivation et lâinspiration Ă tout moment. Pourtant, il est impĂ©ratif pour moi de mâamĂ©nager des plages horaires pour travailler. Je travaille majoritairement la nuit pour tout ce qui est dessin et prĂ©paration des shootings. Câest Ă©trange, mais câest seulement Ă partir de minuit que je commence Ă avoir le cerveau en Ă©bullition, quand mon corps est vidĂ© de son Ă©nergie⊠Si je mâĂ©coutais, je dormirais de 6h du matin Ă 15h, et je ne me mettrais Ă travailler quâĂ partir de 18h. Pour moi, pour lâinstant, câest important dâavoir un autre boulot dit « alimentaire » (car jâadore ce que je fais Ă lâĂ©picerie) pour me rythmer et assurer de quoi payer mon loyer, mais surtout, mâacheter du matĂ©riel et arrĂȘter dâĂȘtre aux abois financiĂšrement, car câest vraiment le premier frein dâune activitĂ© artistique je trouve, lâinconfort matĂ©riel.
Et Ă ton avis est-ce quâil y a – ou pas – une diffĂ©rence dâexpĂ©rience selon le genre, par rapport aux difficultĂ©s rencontrĂ©es sur le chemin de la vie dâartiste?
Câest sĂ»r. Surtout dans la musique (jâai fait de la basse un temps dans un groupe et je compte mây remettre). De la façon dont les hommes ne nous laissent aucune place, surtout. On doit se battre pour se faire entendre. Dans un atelier que jâoccupais fut un temps, je suis tombĂ©e sur des vieux misogynes insupportables. Par exemple, une fois, jâai proposĂ© Ă mon ex dâemprunter une presse Ă lâun de ses collĂšgues dâatelier. Le type en question refusait que je touche sa presse (mĂȘme pour la porter) alors que jâĂ©tais mieux formĂ©e Ă la gravure que mon exâŠ
Conseille-nous 3 artistes féministes à suivre en 2020.
Holly Whitaker: je deviens dingue devant la spontanĂ©itĂ©, la facilitĂ© et la vie de ses photos. Sinon, La Fille Renne qui mâĂ©merveille sans arrĂȘt avec son travail hyper plastique. Et Aleksandra Waliszewska, avec son univers macabre et cauchemardesque.
Ta technique de self-care préférée?
Wahou, en ai-je seulement?⊠Je ne suis pas trop dans le self-care, je me flagelle continuellementâŠ
As-tu des idĂ©es ou des impressions que tu veux partager par rapport Ă la vie dâartiste?
La photo, encore plus que le dessin oĂč on peut vraiment se perdre dans des mĂ©andres dâintellectualisation, permet vraiment, dans mon quotidien, de mâaccrocher Ă un quotidien tangible. Jâai un profil psychiatrique atypique oĂč je suis sujette aux hallucinations et aux dĂ©lires paranoĂŻaques, et prendre le monde Ă travers mon appareil photo mâaide Ă mâancrer dans le prĂ©sent, dans la rĂ©alitĂ©. Quand le dessin me permet de combattre directement mes peurs et mes angoisses tout en crĂ©ant un processus oĂč je ne dois pas me laisser avaler, la photographie mâaide Ă surpasser les choses avec plus de douceur et moins de sĂ©rieux.

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